dimanche 14 juin 2009

Les grands vertiges

Au tarot, quand on tire selon la méthode de la croix celtique, on énonce la sortie de chaque carte selon l’ordre qui suit:  


un  -  ce qui le couvre

deux  -  ce qui le croise

trois  -  ce qui est au-dessus de lui

quatre  -  ce qui est au-dessous de lui

cinq  -  ce qui est derrière lui

six  -  ce qui est devant lui

sept  -  son attitude

huit  -  son entourage

neuf  -  ses peurs et ses désirs

dix  -  sa résolution


Peur et désir se lisent sur une seule image.  Comme l’envers et l’endroit d’une même étoffe.  J’adore ce tour de passe-passe des cartes:  je trouve qu’il est plein de vérité.  Ou en tout cas:  il est plein d’une vérité.  Ça fait très longtemps que j’ai tiré au tarot  -  mais je pense à cette histoire de peur et de désir très souvent.  Un seul mouvement du coeur, le même:  fuir et se précipiter contre.  Tomber, et s’envoler.  En même temps.


J’ai rarement le vertige, j’ai jamais le vertige en fait, je veux dire le vrai vertige, celui des hauteurs  -  mais vendredi soir, quand je suis montée dans la galerie panoramique du Centre Georges-Pompidou, j’en ai eu comme une grande bouffée violente:  les fenêtres étaient ouvertes, tout là-haut, et rien ne séparait les passants du vide immense, rien sauf une rambarde très simple, pas très haute, il n’y avait rien pour empêcher quelqu’un qui aurait voulu sauter.  Ce n’était pas dangereux, ce n’était pas mal fait, on ne pouvait pas tomber, c’était très bien, c’était juste qu’on aurait pu sauter.  Il y a une grande esplanade en pierre en bas, et je me suis retrouvée, complètement malgré moi, à imaginer ce que ça ferait de tomber de si haut.  Le vent, le choc, la pierre.  Ça m’a fait super peur.  J’ai reculé et j’ai continué à regarder les toits et le soir qui tombait sur Paris, mais j’ai laissé faire la belle esplanade de pierre et les gens tout petits en bas.  Je pense que c’est juste parce que c’est extrêmement rare, finalement, les endroits d’où ce serait facile:  d’habitude, il faudrait faire beaucoup plus que d’enjamber une rambarde toute simple pour se jeter dans le vide.  Mais pas là.  Ça m’a vraiment, vraiment mise dans un état pas possible.  Je suis redescendue très tranquillement en me demandant si je n’avais pas attrapé le vertige ou quoi.

Et puis hier je me suis retrouvée sur d’autres hauteurs, celles de l’appartement de mon ami Olivier, qui est lui-même sur les cimes de Paris (l'appartement, pas Olivier  -  ou en fait, Olivier aussi, quand il est dans son appartement, enfin bref), qui est magnifique, qui est beau de partout, et d’où on peut regarder le soleil se fondre majestueusement sur toute la ville.  On a bu du champagne sur le balcon, on était bien, on a beaucoup ri, on a beaucoup mangé, on a repensé aux débuts de toute l’affaire, aux vrais fusils de la première guerre avec lesquels on répétait, aux bâches de plastique, à tout ce qui n’était plus dans le spectacle depuis tellement longtemps qu’on avait presque oublié que ça avait déjà failli exister, au splendide monologue où Olivier disait:  imagine la tête d’une épingle au milieu du grand théâtre où tu allais danser avec Anna  -  c’est la taille d’un noyau au centre de l’atome, et les poussières dans le théâtre, ce sont des électrons, et le reste: du vide.  

On a repensé à tout ça, et chacun, il y avait Jean aussi, et Marie  -  chacun en silence, on a je crois mesuré la distance qui nous séparait de cette époque  -  c’était il y a trois ans, c’était dans une autre vie.  

On a eu droit à la lumière éternelle du couchant, à la Tour Eiffel qui scintille à toute les heures, et à une demi-douzaine de feux d’artifices qui partaient de tous les coins de la ville.  On a jamais compris c’était pour quoi.  Tout le monde était dehors, hier il a fait chaud, hier c’était l’été qui s’amenait enfin, le monde était léger.  Et quand j’ai regardé en bas, au-dessus de la rambarde, le nez dans la cour des voisins qui faisaient des barbecues, je n’avais plus peur.  Je ne me suis pas imaginé tomber:  je me suis imaginé la vie dans ces petites cours cachées de l’agitation urbaine, ces petits coins de bonheur tranquille, ces familles, ces amours-là.  On est rentrées à pied Marie et moi.  J’ai pensé que j’allais beaucoup, beaucoup m’ennuyer d’Olivier.

Aujourd’hui dans le train on a fait des italiennes du nouveau texte.  Et ce soir à Chambéry, qui sent le tilleul, qui n’a pas bougé d’un cheveu, on a mangé dehors  -  c’est bon, de retrouver les amis.  C’est bon la hâte, et l’émotion qui nous prend doucement.  C’est bon de reprendre les répétitions demain.  Même si on a comme  -  comme un léger vertige.



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