mercredi 8 juillet 2009

Cour d'honneur...

Attache ta tuque avec de la broche, comme dit Marie.  Tu vas voir ce que tu vas voir.  On arrive.

mardi 7 juillet 2009

Je brillerai plus noir que ta nuit noire

Oké.  Oké.  En ce soir de générale annulée (à notre plus grand soulagement, il faut l’avouer  -  d’autant plus que ce matin on s’est fait dire:  prenez-le comme un compliment), on peut dire, bon ben voilà, c’est demain.  C’est tantôt.  On est rendus.  

Tantôt, on va jouer dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Ce soir, on a retraversé deux des trois pièces, puisqu’on a un blessé (le paléontologue ne peut plus vraiment marcher, alors il fait une pièce avec une béquille, et une autre en fauteuil roulant).  On a fait des extraits pour une pléthore de kodaks, je pense que je n’avais jamais vu autant de caméras de ma vie (Marie a dit:  je me sens comme une joueuse de tennis).  On a eu des notes, mais surtout, notre metteur en scène nous a dit cette très belle chose, il a dit:  ces pièces ont changé ma vie.  J’espère qu’elles ont aussi changé la vôtre.  Et demain, plus que tout, faisons en sorte que la représentation soit la fête de ça:  du fait que ce théâtre a changé nos vies.  Du fait que nous l’avons fait ensemble.  Du fait que nous y avons trouvé joie, lucidité, sens.  Voyage.  Fêtons le fait d’être ensemble, ici, maintenant, dans ce lieu fou, rêvé, improbable, au bout de ces années, dans nos vies changées, dans nos mémoires comme des forêts profondes où reposent ces histoires.  Il a dit:  bizarrement, cette création, je la sens comme une fin.  Je suis, bizarrement, d’accord avec lui.  C’est une sorte de fin.  Et donc il y a sûrement, caché dans son coin, un début qui s’en vient, qui attend son heure, qui arrivera bientôt.

Mais pour l’instant, on va commencer par célébrer de tout coeur.  On va faire du théâtre dans ce lieu impossible, puisque c’est dans les lieux impossibles qu’il faut faire du théâtre.  On va jouer pendant onze heures, devant deux milles spectateurs, et ceux qui seront encore là à la fin on aura envie de descendre dans les gradins pour les serrer dans nos bras, on va jouer tout ça avec bonheur et courage. 

Moi je jouerai pour vous.

Pour Catam, à qui j’ai lu une lettre un jour, qui m’a dit:  tu ne touches à rien, et tu la postes.  Pour elle dont je vois le visage à chaque fois que je dis sur scène les mots:  “meilleure amie”.  

Pour Anne-Marie, avec qui j’ai tout partagé, tout, tout, tout, et qui m’accompagne encore.  Pour son enfant qui nous regarde.

Pour Jacinthe.

Pour Olivier, jumeau inoublié.

Pour mon père, pour ma mère, qui m’ont appris à tromper  l’impossible et à le retourner contre lui-même  -  et qui sont si fiers, si fiers, que je brille dans le noir.

Pour mes frères, pour ma soeur, que j’aime plus que tout au monde.  Et dont je suis si fière, qu’ils brillent dans le noir.

Pour Miro, tendresse éternelle.

Pour Catherine, héroïque, belle, incandescente.

Pour tous mes camarades.

Pour mes amis qui ont fait le voyage et qui seront dans la salle.

Pour mes amis qui auraient voulu faire le voyage et qui seront dans mon coeur.

Pensez à moi, comme je pense à vous.

dimanche 5 juillet 2009

Partez avant le jour

C'est notre dernière nuit de calme avant la grande traversée. Huit jours et sept nuits sans plus savoir le commencement ni la fin, l'ordre des choses, huit jours et sept nuits au bord des limites de nos corps, à lancer toutes nos forces dans les dernières heures de bataille, à jeter nos coeurs et nos esprits en pâture à la nuit, au mystère, à ce qui nous dépasse.
Les acteurs qui sont avec moi sur la scène me bouleversent de générosité, de talent, de bonté, de bienveillance, de beauté folle, de beauté âpre, d'abnégation, de fulgurance, d'ardeur, de courage. Je suis honorée, je suis amoureuse, je suis ravie. Je n'en reviens pas, je n'en reviens pas, je n'en reviens pas d'être là, je n'en reviens pas du privilège de vivre ça à leurs côtés. Ce qui me porte, c'est la grandeur des textes, mais c'est aussi, beaucoup, la charge partagée avec ces compagnons d'armes. Ils sont magnifiques. Ils sont au plus clair de leurs fragilités. Ils sont invincibles et désemparés. La nuit va nous prendre. Elle va nous prendre ensemble.
Ce soir on a replacé des coupures, on a eu quelques notes, on a placé les saluts (eh oui). Après on est allés manger de la pizza, et puisque nous cherchons la légèreté, puisqu'on nous a dit: dans la mesure du possible, pour demain et pour la suite, soyez heureux, soyez frivoles même, car nous savons que nous avons fait absolument tout ce qui était en notre pouvoir pour que tout aille bien, et c'est vrai - alors pour la légèreté et pour le plaisir, on est allés faire un tour de grande roue.
Quand je les regarde marcher dans la nuit, regarder le spectacle emmitouflés dans des couvertures de polaire, jouer aux dés, boire du rosé, quand je mange avec eux, quand ils me prennent par le cou, par la main, quand ils me font rire à quatre heures du matin, quand ils pleurent en se démaquillant, quand ils sortent de scène, je me dis: maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.
Et c'est vrai de vrai.
Demain on entre là où on ne sait plus rien. Ensemble.

samedi 4 juillet 2009

Pieds nus dans l'aube

Il est quatre heures du matin et Catherine fait des listes d’aliments yin devant son ordi.  Aujourd’hui nous avons tenté, après la réflexologie avec les Chinoises de Chambéry, les décoctions quotidiennes de gingembre, les douches au romarin, les probiotiques, les multivitamines, le mélange “clarté de la voix”, aujourd’hui donc nous sommes allées chez l’acupuncteur de l’autre côté de la rue et nous voilà face à nos carences en yin.  Nos trois pouls partaient un peu dans tous les sens, on essaye de ramener toute ça, tsé, fait qu’il faut manger des carottes, du canard, de l’aubergine et de l’ananas.  Des patates douces, du cresson.  Des affaires yin, là.  Catherine et moi sommes colocs ici, et on fait beaucoup de listes.  Ça nous rassure, on dirait.

Il est quatre heures du matin, donc, et on se sent comme s’il était vaguement minuit et demi, parce que coudonc, on commence à basculer dans le bon fuseau horaire:  on vit à l’envers.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, on a fait notre premier filage en temps réel.  C’était surréaliste.  On a commencé à 20h15, et je pense qu’on a fini vers 8h40 le matin.  Une folie.  Jouer le soir à 20h00, dans le jour complet, dans la chaleur suffocante, ça va encore, ça se peut.  Partir ensuite, pas démaquillées, marcher jusqu’à la maison pour manger, puis essayer de dormir un peu, de minuit à une heure et demie, ça devient compliqué.  Faire une sieste en pleine nuit, c’est bizarre, et c’est surtout stressant.  Après, repartir, marcher vingt minutes dans la ville, arriver et vite vite se maquiller, poser les micros, faire sa mise en vitesse, se réchauffer comme-ci comme-ci comme-ça, ça commence à ne ressembler à rien qu’on connaît:  et alors, partir le show à 4 heures du matin, c’est-à-dire maintenant, à cette heure-ci précisément, c’est complètement irréel.  Mais complètement.  Et on tient assez bien, c’est ça qui est fou aussi, on se dit ça va, ça va encore, jusqu’ici ça se peut.  Le jour se lève doucement et nous vole la vedette pendant quelques instants:  la lumière qui change, les oiseaux qui reviennent, le ciel qui s’éclaircit, et le Palais qui se réveille tranquillement, c’est impossible de lutter, on devient accessoires dans le décor.  Il fait clair, de plus en plus, et il y a l’entracte.  Et c’est là, vers 6 heures du matin, qu’on se dit:  oké, à partir de maintenant, je ne peux plus jurer de rien.  Les répliques, que j’ai dites au-delà de deux cents fois, je les connais comme si je les avais écrites, mais je pourrais les échapper.  Et on se demande si on pourrait s’endormir sur scène, assise sur une chaise.  Ou s’évanouir?  S’évanouir.  Peut-être.  On ne sait plus trop.  Et on joue, on continue de projeter, on se regarde dans les yeux, les veines éclatées, nos camarades tiennent bon alors on tient bon, et “fatigue” devient un mot dérisoire pour parler de ce qui nous fracasse.  En fait on est ailleurs, avec aucune idée de quand ça finira, ni de comment revenir.  À date, jouer toute la nuit, c’est hallucinogène.  Je sais pas comment on a fait.  Ni comment on fera.  J’ai bien hâte de voir le visage de ceux qui, le matin, quand j’entre pour jouer Hélène à 7h00, puis Sarah, encore plus tard, seront là.  J’ai hâte à ces visages, je les verrai très bien, parfaitement même, et ils seront sûrement rares.  Ils seront précieux.  Nous les regarderons dans les yeux.  Nous les saluerons pieds nus.  Dans la lumière du jour.

Va jouer dans la cour

Je voudrais écrire tout le temps.  Mais on travaille si fort.  Je voudrais capturer les images de ce que l’on vit toutes les heures, pour vous les offrir en grands bouquets dépareillés, pour pouvoir en garder une trace pour plus tard aussi, pour les mettre à sécher entre les pages des livres que j’ai traînés et que je ne lis pas:  je voudrais écrire tout le temps mais parfois aussi, faut bien le dire, quand  on rentre après la répétition, c’est impossible de savoir quoi dire.  Il y a des moments où on ne sait plus rien.  On a mal.  On est épuisés.  On a faim et on recommence tantôt.  Alors on se tait et on prend des forces.

Dimanche dernier on est entrés dans la cour, pour la première fois, ensemble.  Il y avait Marie et Catherine, Isabelle, Richard et Mireille, Jean, Yannick, et peut-être d’autres aussi, je ne me souviens déjà plus.  Yann faisait des tests de sons, donc quand on est montés sur la scène, “In the mood for love” jouait, vaste et doux, et c’était beau, beau, beau comme une scène de film.  On a pleuré.  De joie, je pense, et aussi d’inouï, d’inespéré, de beauté gratuite, de beauté folle.  J’ai pensé très fort à Anne-Marie, Olivier, Jacinthe. On a ri aussi, et on a dansé un peu.  

C’était moins immense que dans mon souvenir, moins intimidant, c’était plus enveloppant que ce que j’avais fini par me figurer.   Il y avait le violon partout, et mes amis émus, les yeux levés vers les sièges vides, et il y avait les hirondelles qui tournoyaient au-dessus de nos têtes bénies.   Les murs sont si hauts, que c’est cette dimension de l'endroit qui est la plus imposante.  Pas les deux milles places.  Pas la grandeur du plateau.  Le plateau est bien, le plateau est parfait.  La verticalité de l’endroit est très impressionnante, mais bizarrement, rassurante:  quoi qu’il arrive, le ciel est proche.  

Dimanche dernier on a fait ça.  Ça semble déjà loin.

C’était le soir, vers sept heures, la lumière était belle et nous avons marché pour la première fois sur la scène de la Cour d’honneur.  Debout dans nos vertiges, nos robes d’été, nos frayeurs les plus intimes, nos courages les plus sauvages.  Debout, déjà, dans nos souvenirs.

mercredi 1 juillet 2009

Tu verras tu verras

Dimanche on a pris le bus.  Et on a roulé.  J'étais un peu malade, je n'ai pas trop pensé à tout ça, à ce qui se passait, à la vie qui passait  -  à toute la route roulée, à tout le temps tourné depuis quatre ans.  À tout ce qui s'en venait, et à tout ce qui nous avait menés vers ce qui s'en venait.
Il y a dix ans, très exactement, je marchais pour la première fois ici.  Dans les vieilles rues, dans la lumière blanche, sous les petites loupiotes de fête et sur les pavés joyeux de la belle Europe.  J'étais partie toute seule, cinq ou six jours après avoir appris que j'étais acceptée au Conservatoire, j'étais partie avec mille dollars pour deux mois ce qui était de la folie, j'avais dix-huit ans, je ne connaissais rien, j'étais prête à tout, j'avais une adresse sur un bout de papier et j'avais perdu mon sac de couchage entre l'aéroport et Paris, en arrivant.  J'avais la chienne, j'avais de l'espoir à m'en jeter à la mer, j'avais la vie devant, j'étais hallucinée de bonheur et de possibles, je voyais le monde s'ouvrir, comme quand à cinq ans j'avais lu mon premier mot, maison, j'apprenais à lire et la maison c'était le monde.  J'avais gagné un voyage de dix jours à Avignon, pendant le Festival, je rentrais à l'école à la rentrée, et j'étais folle de joie, d'inquiétude, j'étais malade d'espoir, j'étais au commencement.  Je m'en rappelle très bien.
J'avais vu la première pièce de notre Trilogie en décembre, à Québec.  Puis je l'ai revue ici, dehors, dans la cour du Cloître des Célestins, deux fois.  J'étais bouleversée par ce théâtre.  C'était tout ce que je voulais faire.  J'étais allumée jusqu'aux os par cette voix, par cette écriture, je sentais que même endormie, même morte, ces mots, cette histoire m'auraient réveillée et m'auraient fait trembler.  De consolation.  De sens.  De joie, de chagrin, de reconnaissance.  Maison.  
C'était ça, c'était là, au plus aigu de ce que je savais, ce que je voulais du théâtre.  C'était magnifique et c'était terrible, parce que c'était le début et que je ne le faisais pas, parce que je le regardais et que puisque c'était fait je ne le ferais donc pas, parce que j'avais dix-huit ans, que je n'avais rien fait encore, parce que j'avais un chandail gris à capuchon et que je pleurais au théâtre, comme une enfant, comme une fin d'adolescente, c'était magnifique et c'était terrible parce que j'avais dix-huit ans et que je pleurais de joie devant une histoire.  C'était mon premier voyage.  C'était il y a dix ans.
Je pense beaucoup, ces jours-ci, à celle que j'étais alors.  
Je me dis que  -  si on lui avait dit, à cette petite  -  si on lui avait dit:  un jour, bientôt, tu seras avec eux  -  elle aurait perdu connaissance.  Mais je me dis aussi:  elle l'aurait cru.