lundi 26 octobre 2009

On peut danser dans la cuisine

“Écris - Pour qui?

- Pour les morts, pour ceux que tu aimes,

dans un monde qui fut

- Mais le liront-ils? - Non!

- Kierkegaard.


On peut danser pour rien. On peut danser avant le souper, on peut danser dans l’herbe, on pourrait danser au soleil plutôt que de danser dans la nuit, c’est vrai, c’est Estelle ma copine qui le dit, elle a bien raison, ce serait chouette danser l’après-midi, et nu-pieds aussi. On peut danser devant le théâtre.

À Nantes un vendredi après la répétition (on a répété une fois avant la première Trilogie), Yannick a approché la voiture et mis la musique à fond dans l’allée, parce qu’on attendait, parce que la journée finie on ne savait plus contre quoi se lancer, ça fait ça parfois, finir tôt, et tout le monde a dansé. C’était super. Danser de toutes ses forces, dehors, pour rien, c’est super.


Danser dans la rue. Danser dans la chambre, danser sur le lit. Danser dans l’hiver. Danser dans le trafic. Danser dans le bus. Danser sur le toit. Danser aux saluts. Danser contre la mélancolie et contre moi qui m’ennuie de toi qui ne s’ennuie pas. Danser contre toi. Danser sans musique. Danser en secret. Danser toute seule, comme un feu, quant tu voudras me rejoindre tu le diras, quand on m’invite à danser, je dis toujours oui, c’est un principe, c’est tellement dur demander, je le sais, je ne refuse jamais ça, ni une danse, ni un baiser.


J’ai déjà entendu quelqu’un dire qu’on faisait du théâtre pour se mettre à table ensuite, ensemble, manger et boire autour d’une grande table avec les amis, les camarades, et je trouve ça assez juste.

Moi je pense que j’écris pour danser ensuite, un jour, qu’on danse ensemble, j’écris en attendant de danser avec toi.





jeudi 22 octobre 2009

Parfois se taire - le temps des vendanges

Moi qui adore faire des listes, et détailler, mot par mot, tout ce qui me ravit ou m’honore ou me bouleverse, ou me repêche, ou me guérit, ou me console, moi qui glâne patiemment les noms des villes, des nuages, des courants, des odeurs, moi qui traque inlassablement le vent, le vin, les trains, les fleuves, les îles, les baisers, moi qui compte mes chances, et les recompte en secret le soir, comme un paquet miraculeux de miettes précieuses, comme ces morceaux de sea glass que ma mère ramasse sur les plages, petits éclats qui ne valent rien et qui valent tout, moi qui écris pour me donner du courage, moi qui choisis de relater la lumière, ou la trace qu’elle laisse, ou la trace qu’elle aurait pu laisser; j’ai perdu le compte.

C’était la fin de semaine de l’Action de grâce, j’avais résolu de faire une nouvelle liste, celle des choses et des gens à quoi, à qui j’avais envie de dire merci, j’avais mon petit projet d’état des lieux dans la tête et je me promenais avec depuis quelques jours déjà. Ça me plaisait. Ça m’allumait l’oeil. Ça me faisait faire attention aux jolies choses.

Et puis le samedi on a joué la Trilogie, c’était la première fois depuis cet été, et l’énergie était incroyable, je crois, en tout cas d’où je regardais, quelle joie, quelle joie de se retrouver tous, on était dans un théâtre, je n’avais presque pas dormi de la nuit parce que dans la chambre j’avais eu chaud, puis il y avait eu des moustiques, puis j’avais pensé à toutes sortes de choses, au spectacle, à la vie, à nos vies, à ce qui se répare sans qu’on s’en rende compte, à ce qui se prépare, aussi, à notre insu, à tout ce qui avance sans nous, malgré nous, à ce qu’on appelle; puis après toutes ces pensées j’avais eu faim, je m’étais relevée et j’avais mangé du yogourt à 4h30 du matin, avec du miel, en me disant que je n’avais aucun contrôle sur cette nuit, et que ce n’était pas plus mal, puis j’avais finalement dormi, enfin, bien mais trop peu, bref, on était partis pour onze heures et j’étais enchantée mais épuisée d’avance. Ce sont des choses qui arrivent.

On a fait la première pièce. Quand on a eu fini, les autres jouaient encore, ceux de la seconde pièce se préparaient en-haut, et Linda m’a dessiné mon tatouage dans le dos pour prendre de l’avance.

Je portais la robe d’Hélène, ouverte derrière, pour faire sécher l’encre sur ma peau. Et je me suis dirigée vers ma loge, au deuxième étage au fond. Le couloir était vide. Quand je suis passée, la loge des habilleuses était pleine de linge propre en train de sécher, fenêtres grandes ouvertes sur les derniers moments de beau temps avant l’automne, il était environ seize heures trente, je me suis arrêtée, je me suis tournée vers l’ouest, le soleil était parfaitement horizontal et entrait, perpendiculaire, sans équivoque, catégorique, et le courant d’air qui courait était lui aussi impérieux, ça sentait le coton et la lessive fraîche, les cloches sonnaient, je le jure, les cloches se sont mises à sonner, et je suis restée, yeux fermées dans cette évidence, à court de mots, à quoi bon faire la liste de tout ce qui menait à cet instant, puisque cet instant existait, j’étais dedans, toute seule, dans un théâtre rempli à craquer, j’étais toute seule avec mon bonheur inexplicable, j’étais toute seule et c’était parfait.

Je n’ai pas fait de liste.

lundi 19 octobre 2009

Je n'ai pas peur de la route

Avant-hier j’étais à Nantes. Dans un lieu très étrange. Un divan-lit ouvert tout le jour. Des couvertures bleues en polar, deux, pourtant pas suffisantes pour me tenir chaud. Je dormais avec des chaussettes qui montaient jusqu’aux cuisses et un chandail à manches longues. Plus une écharpe, au début de la nuit. Il y avait là aussi: des roses de toutes les couleurs, achetées pour célébrer mon dos blessé qui allait mieux, des citrons en quantité parce qu’ils vendaient le filet seulement un euro quinze au Marché Plus d’à côté , un sèche-cheveux local (j’ai fini par céder, je déteste avoir les cheveux humides, j’ai acheté un séchoir, salut les écolos comme dirait mon amie Anne-Marie), une télé à écran plat que je n’ai jamais allumée, quelques cadres sous le thème “voiles, mer et marins”, sans doute pour s’accorder au slogan de l’établissement (Cap sur les affaires, pour cadrer avec la Bretagne environnante, un bijou de cohérence tout ça, ça fait chaud au coeur du voyageur), des maringouins, toujours deux ou trois, une grande douche, des rideaux, des fins blancs en mousseline, et aussi des bleus plus lourds. Un épais tapis bleu roi. C’était très calme. Ça sentait bon, ça sentait les draps propres. Le savon blanc. Malgré tout je pense que l’air n’était pas super, et le lit était très inconfortable.

J’ai passé deux semaines là-bas. C’était une chambre trop petite (on pouvait à peine faire le tour du lit), pas spécialement jolie.

Mais. Comment dire.

Un jour pendant la première semaine, j’étais là-dedans, dans cette espèce de cabane impersonnelle, à faire mes petites affaires (cap sur mes petites affaires), ranger un peu, changer l’eau des fleurs, je sais pas quoi - et je me suis dit: cet endroit est complètement artificiel, et objectivement c’est très curieux de vivre ici, d’essayer de vivre normalement ici. C’est contre-nature. C’est presque un décor. C’est extrêmement bizarre d’être ici.

Et ce qui est encore plus bizarre, c’est que je me sens chez moi. Je trouve ça presque plus normal d’être là, dans cette chambre-là, que dans mon appartement. Depuis quatre ans, j’ai passé plus de temps dans des no-where que dans de vraies habitations. Je me suis doucement déséquilibrée. J’ai l’impression d’être ici à la maison.

N’empêche. Elle avait quelque chose, cette chambre. Elle était bien.

En tout cas: elle a été, pour quelques nuits, mienne.

Chambre 301. Salut.

vendredi 16 octobre 2009

Amuse-bouche


Pour (re)commencer: une histoire de fille toute seule en voyage, puisque si je ne suis plus seule, je suis partie seule, et que ces petits moments de, hum, disons d’éternité, à cheval entre le ridicule et le sublime, n’arrivent qu’aux filles toutes seules loin de chez elles. Je le sais, ça m’arrive assez souvent, j’ai appris à reconnaître ce parfum reconnaissable entre tous du désespoir comique, qui donne le goût de brailler sur le moment, mais fera assurément la joie des correspondants restés à la maison et qui attendent précisément ce genre de récit pour se bidonner un bon coup.

Aéroport de Toronto. Sept heures d’attente. Ne me demandez pas comment ça a pu arriver, compte tenu du fait que je partais pour la France, c’est arrivé, et ça fait partie de la game, mettons ça sur le compte du fait qu’on ne part pas tous égaux dans la vie, et qu’il y en a qui se font surclasser parce qu’ils ont de beaux souliers, et d’autres qui attendent sept heures pour aucune raison. Dossier mystère, genre. De toutes façons: je le savais depuis longtemps, je m’étais faite à l’idée, pas de problème, en plus j’aime bien les aéroports, en-dehors du fait que tout coûte cinq fois le prix normal, ce sont parfois des endroits agréables, quand la lumière est bien pensée, mais surtout on sent là cet espèce de brouillard sentimental qui baigne les pensées de la foule: à l’aéroport, tout le monde se prend pour le héros du roman.

Entre les magasins tous semblables, les faux pubs, les bars et les restos où l’on peut déguster un hamburger pour 14 dollars, j’ai vite fait le tour de la place. J’ai pris des photos de la pluie dehors, des pistes, du tarmac, des avions. J’ai lu des revues debout. Il n’y avait pas internet. Bref, à seize heures, je savais plus quoi faire.

Je passe pour la huitième fois devant le petit institut de beauté minute et je me dis, oh mon dieu, allez hop, je me fait faire une manucure, rien de trop beau, c’est long, je m’emmerde, je vais me faire faire les ongles, oui! Quelle bonne idée! Comme c’est joyeux. Une manucure à l’aéroport. Et après on commence le voyage avec de jolies mains. Hourra, bravo, vendu.

J’aurais dû me douter de quelque chose quand la jolie jeune fille (qui jugeait mon anglais), à qui je demandais comment c’était de travailler dans un aéroport, m’a confié qu’elle en était seulement à sa deuxième journée. J’aurais peut-être dû jouer de prudence lorsqu’elle m’a demandé si elle posait une deuxième couche de vernis (euh, I guess, c’est pas toi qui connaît ça?), surtout que la première n’avait pas encore eu le temps de sécher... J’aurais dû camper sous le séchoir, vu que manifestement, ça allait pas le faire, avec cette deuxième couche trop épaisse sur une première couche pas sèche. Je sais pas où j’avais la tête. Dans les vapeurs de dissolvant, j’imagine. En tout cas: je voulais y croire.

Et finalement, je n’aurais pas dû m’éloigner tant de la boutique, qui affichait “satisfaction garantie ou argent remis”, pour me retrouver dans une autre aile complètement de l’aéroport, celle des vols internationnaux, avec mes ongles tout mous, mais qu’est-ce que tu veux, elle en a mis tellement épais, la petite chérie, que même sec le vernis était comme une espèce de pâte... Même en faisant très attention, j’ai scrapé disons six ongles sur dix. C’était dégueu. Alors qu’est-ce que j’ai fait avant d’embarquer dans l’avion?

Je suis allée dans une boutique d’aéroport.

J’ai acheté du remover à 5 dollars.

Je me suis assise au Tim Horton.

Et j’ai soigneusement enlevé le vernis sur tous mes ongles.