mardi 8 décembre 2009

Ne me quitte pas

Je la regarde avec des yeux d’amoureuse transie, ma belle ville amie. Je la regarde avec déjà comme un parfum de nostalgie qui me prend la nuque en douce et me fait frissonner un peu, comme le souvenir d’une écharpe qu’on a aimée puis perdue - comme l’empreinte d’une main qui cherchait la peau à la jonction des cheveux, la peau intacte, la peau de bébé, une main qui faisait tout le temps ça et qui maintenant n’est plus là.

Depuis cinq ans, à toutes les fois que je suis partie d’ici, je savais exactement quand j’allais revenir. Le 22 décembre, quand je vais rentrer à la maison, ce sera la première fois depuis tout ce temps-là que je ne saurai pas ce qui me ramènera ici, ni dans combien de temps. C’est fou, je ne pensais plus que ce moment arriverait.

Alors je me promène comme une ingénue dans les rues, légère comme un premier baiser, le nez en l’air, et je regarde tout comme si c’était la première ou la dernière fois, c’est pareil. Dans les odeurs de pain, de parfums de femme, d’urine, de feux de charbon, de poussière sucrée, de mer, de feuilles mortes et de pâte à crêpe, j’essaie de tout garder, tout, et de couler les effluves mêlées dans un flacon scellé au fond de ma mémoire, pour pouvoir dire: je vais à Paris, fermer les yeux, respirer et puis y être.

Je marche dans mon ailleurs originel, et je mesure à chaque pas l’étendue de mon amour pour cette ville, j’aime, j’aime, j’aime Paris, et Paris m’aime aussi, pour toujours, je le sais, je le sens, ces amours-là n’ont besoin de rien, ni promesses, ni garanties, ni photos, ni ciel de lit. Ni baisers. Ni merci. Tout est tellement déjà dit. Les noces ont eu lieu il y a tellement longtemps que plus personne ne souvient de qui était tombé amoureux le premier.