mercredi 1 juillet 2009

Tu verras tu verras

Dimanche on a pris le bus.  Et on a roulé.  J'étais un peu malade, je n'ai pas trop pensé à tout ça, à ce qui se passait, à la vie qui passait  -  à toute la route roulée, à tout le temps tourné depuis quatre ans.  À tout ce qui s'en venait, et à tout ce qui nous avait menés vers ce qui s'en venait.
Il y a dix ans, très exactement, je marchais pour la première fois ici.  Dans les vieilles rues, dans la lumière blanche, sous les petites loupiotes de fête et sur les pavés joyeux de la belle Europe.  J'étais partie toute seule, cinq ou six jours après avoir appris que j'étais acceptée au Conservatoire, j'étais partie avec mille dollars pour deux mois ce qui était de la folie, j'avais dix-huit ans, je ne connaissais rien, j'étais prête à tout, j'avais une adresse sur un bout de papier et j'avais perdu mon sac de couchage entre l'aéroport et Paris, en arrivant.  J'avais la chienne, j'avais de l'espoir à m'en jeter à la mer, j'avais la vie devant, j'étais hallucinée de bonheur et de possibles, je voyais le monde s'ouvrir, comme quand à cinq ans j'avais lu mon premier mot, maison, j'apprenais à lire et la maison c'était le monde.  J'avais gagné un voyage de dix jours à Avignon, pendant le Festival, je rentrais à l'école à la rentrée, et j'étais folle de joie, d'inquiétude, j'étais malade d'espoir, j'étais au commencement.  Je m'en rappelle très bien.
J'avais vu la première pièce de notre Trilogie en décembre, à Québec.  Puis je l'ai revue ici, dehors, dans la cour du Cloître des Célestins, deux fois.  J'étais bouleversée par ce théâtre.  C'était tout ce que je voulais faire.  J'étais allumée jusqu'aux os par cette voix, par cette écriture, je sentais que même endormie, même morte, ces mots, cette histoire m'auraient réveillée et m'auraient fait trembler.  De consolation.  De sens.  De joie, de chagrin, de reconnaissance.  Maison.  
C'était ça, c'était là, au plus aigu de ce que je savais, ce que je voulais du théâtre.  C'était magnifique et c'était terrible, parce que c'était le début et que je ne le faisais pas, parce que je le regardais et que puisque c'était fait je ne le ferais donc pas, parce que j'avais dix-huit ans, que je n'avais rien fait encore, parce que j'avais un chandail gris à capuchon et que je pleurais au théâtre, comme une enfant, comme une fin d'adolescente, c'était magnifique et c'était terrible parce que j'avais dix-huit ans et que je pleurais de joie devant une histoire.  C'était mon premier voyage.  C'était il y a dix ans.
Je pense beaucoup, ces jours-ci, à celle que j'étais alors.  
Je me dis que  -  si on lui avait dit, à cette petite  -  si on lui avait dit:  un jour, bientôt, tu seras avec eux  -  elle aurait perdu connaissance.  Mais je me dis aussi:  elle l'aurait cru.



4 commentaires:

  1. Il m'est impossible de laisser ce texte sans commentaire car il est fort beau et grand à la mesure de ce que tu vis. Profites bien de ces moments qui ne passe qu'une fois dans une vie si belle Véro. Je dois me rendre à l'évidence, je n'ai pas trouvé 3000 dollars en marchant sur la rue. J'imortaliserai ce moment dans mon imagination. Je pense à toi. Mini-cul. xx

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  2. Woww Vé!
    C'est tellement beau! Ce texte est tellement plein d'espoir c'est magnifique. J'aime tellement ça te lire!
    Profites-en Vé. Trippe! J'veux que tu saute partout comme lorsque tu a eu la confirmation du début de cette Merveilleuse Histoire!
    Je m'ennuie de toi!
    jicii..

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  3. Il y a dix ans , j'allais reconduire ma fille de 18 ans à Mirabel. Elle avait gagné un séjour à Avignon...Je me souviens de la plus belle fille du monde partant pour la première fois, volontaire, électrique, transportée par ce qui l'attendait , ou par ce qu'elle attendait. J'étais animé par des sentiments contradictoire, la joie de la voir réaliser un rêve et de faire ses premiers pas dans le monde ( à la vitesse où elle va j'ai perdu le décompte), la "chienne" de ce qui pourrait arriver à ma fille seule et loin...Si elle était inquiète en partant, elle cachait bien son jeux, je l'ai vu partir, une fois la barrière d'embarquement traversée, à la vitesse grand V, sans se retourner , pressée d'arriver, pressée de commencer sa vie d'artiste...
    Papa

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  4. Oh papa, quel beau message. Merci.
    Je t'embrasse et je pense à toi vraiment souvent - tu adorerais le Palais des Papes.
    Tu capoterais, en fait. Tu aurais envie de te promener partout clandestinement. C'est très beau, et très grand, très très impressionnant.
    Tu serais fier de moi, de me voir jouer, sur la grande scène en bas des murs géants. J'espère que je pourrai te montrer des photos.
    xxx

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