mardi 7 juillet 2009

Je brillerai plus noir que ta nuit noire

Oké.  Oké.  En ce soir de générale annulée (à notre plus grand soulagement, il faut l’avouer  -  d’autant plus que ce matin on s’est fait dire:  prenez-le comme un compliment), on peut dire, bon ben voilà, c’est demain.  C’est tantôt.  On est rendus.  

Tantôt, on va jouer dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

Ce soir, on a retraversé deux des trois pièces, puisqu’on a un blessé (le paléontologue ne peut plus vraiment marcher, alors il fait une pièce avec une béquille, et une autre en fauteuil roulant).  On a fait des extraits pour une pléthore de kodaks, je pense que je n’avais jamais vu autant de caméras de ma vie (Marie a dit:  je me sens comme une joueuse de tennis).  On a eu des notes, mais surtout, notre metteur en scène nous a dit cette très belle chose, il a dit:  ces pièces ont changé ma vie.  J’espère qu’elles ont aussi changé la vôtre.  Et demain, plus que tout, faisons en sorte que la représentation soit la fête de ça:  du fait que ce théâtre a changé nos vies.  Du fait que nous l’avons fait ensemble.  Du fait que nous y avons trouvé joie, lucidité, sens.  Voyage.  Fêtons le fait d’être ensemble, ici, maintenant, dans ce lieu fou, rêvé, improbable, au bout de ces années, dans nos vies changées, dans nos mémoires comme des forêts profondes où reposent ces histoires.  Il a dit:  bizarrement, cette création, je la sens comme une fin.  Je suis, bizarrement, d’accord avec lui.  C’est une sorte de fin.  Et donc il y a sûrement, caché dans son coin, un début qui s’en vient, qui attend son heure, qui arrivera bientôt.

Mais pour l’instant, on va commencer par célébrer de tout coeur.  On va faire du théâtre dans ce lieu impossible, puisque c’est dans les lieux impossibles qu’il faut faire du théâtre.  On va jouer pendant onze heures, devant deux milles spectateurs, et ceux qui seront encore là à la fin on aura envie de descendre dans les gradins pour les serrer dans nos bras, on va jouer tout ça avec bonheur et courage. 

Moi je jouerai pour vous.

Pour Catam, à qui j’ai lu une lettre un jour, qui m’a dit:  tu ne touches à rien, et tu la postes.  Pour elle dont je vois le visage à chaque fois que je dis sur scène les mots:  “meilleure amie”.  

Pour Anne-Marie, avec qui j’ai tout partagé, tout, tout, tout, et qui m’accompagne encore.  Pour son enfant qui nous regarde.

Pour Jacinthe.

Pour Olivier, jumeau inoublié.

Pour mon père, pour ma mère, qui m’ont appris à tromper  l’impossible et à le retourner contre lui-même  -  et qui sont si fiers, si fiers, que je brille dans le noir.

Pour mes frères, pour ma soeur, que j’aime plus que tout au monde.  Et dont je suis si fière, qu’ils brillent dans le noir.

Pour Miro, tendresse éternelle.

Pour Catherine, héroïque, belle, incandescente.

Pour tous mes camarades.

Pour mes amis qui ont fait le voyage et qui seront dans la salle.

Pour mes amis qui auraient voulu faire le voyage et qui seront dans mon coeur.

Pensez à moi, comme je pense à vous.

2 commentaires:

  1. Tu le sais, ma Véro, j'ai tout vu de Wajdi Mouawad: Edwige, Willy Protagoras, Assoiffé, Rêves, Les trois soeurs, j'ai bien sûr vu et revu la fameuse trilogie, je l'ai lu, étudié, j'ai même écrit une lettre de reconnaissance infinie que j'ai caché dans un tiroir, de peur que son lecteur ne comprenne pas à travers mes mots toute l'importance que sa dramaturgie avait eu pour moi, le deuil du père absent, la grandeur du pardon, les cicatrices de la guerre (et la chance que j'ai de vivre dans ce pays "monstrueusement en paix"), les dégâts des promesses non-tenues, je veux dire, quand il dit que ce théâtre a transformé sa vie, vos vies, nos vies, il a raison, c'est fou, sauf qu'il faut que je t'avoue, que je te confie comme je l'ai avoué à Anne-Marie hier soir, que ce grand moment, cette grande consécration qu'est Avignon, ce grand "voyage au bout de la nuit" (que j'ai aussi vu, en passant), je ne crois pas que je pourrais y assister. Je veux dire, si j'avais l'argent, si j'étais au Sud de la France (WOW!), malgré mon amour éperdu de ce théâtre que nous avons découvert ensemble et dans lequel je t'ai vu briller comme Vénus en novembre, je n'aurais pas la force de revivre tout ça, bout à bout, d'un seul coup. Je souviens encore de cet ami qui était venu me consoler dans la salle vide du Périscope, à la fin de LITTORAL. J'avais complètement perdu le contrôle lors des monologues finaux du père, liquéfiée, anéantie, inconsolable. INCENDIES ne m'a pas plus ménagée; les digues ont lâché lors de la scène de l'autobus et la crue est devenue dramatique lors de la tirade de la mère au fils, je me souviens m'être dit, ce devait être comme ça que se sentaient les Grecs quand ils ont vu Oedipe-roi pour la première fois, assis sur leurs gradins de pierre sous un soleil de plomb. Il y a quelque chose d'insoutenable dans cette fatalité que l'homme doit traverser pour devenir meilleur, quelque chose de révoltant, parce qu'il en est à la fois la victime et responsable. Et puis, il y a eu Forêts, que j'ai pris la peine de lire deux fois avant d'aller la voir, question de conjurer la peine, un exorcisme, la volonté de ne pas être un cliché de moi-même, pétrifiée comme une pleureuse sur un banc. Mais j'avais oublié Anne-Marie et toi, mes amies chéries, traversées par cette pièce comme la lame d'un couteau, l'envie irrepressible d'aller gifler ce père incestueux, de te prendre d'une main et Anne-Marie de l'autre, de recouvrir vos corps grelottants de chacune la moitié de mon manteau déchiré et de hurler: "Ça suffit, maintenant, on rentre à la maison".
    Y a quand même ben des maudites limites.
    Alors voilà, de te voir rayonnante au crépuscule, abattue par la nuit, survivante à l'aube, sourire à travers ton visage plein de terre et de pluie, alors que certains spectateurs dorment devant la tragédie ou pire la quittent en baillant, je ne le pourrais pas. Oublie ça, c'est au-dessus de mes forces.
    Mais dieu que je suis avec toi, dans ce temple qu'est ce théâtre beau et terrible comme un oracle. JE PENSE À TOI, mon amie. Je t'adore xxx

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  2. Ohhhhhh, Véro. Ma Véro. Je viens de lire ça, 20 jours plus tard. Merci mon amie de penser à moi comme ça. Tu me fais pleurer devant l'ordi à galerie, comme une niaiseuse. Maudit que je t'aime. Merci de m'avoir transportée jusqu'à là-bas, devant tes yeux.
    Reviens tout me raconter là... Ça va faire le long voyage.
    xxx

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