samedi 4 juillet 2009

Pieds nus dans l'aube

Il est quatre heures du matin et Catherine fait des listes d’aliments yin devant son ordi.  Aujourd’hui nous avons tenté, après la réflexologie avec les Chinoises de Chambéry, les décoctions quotidiennes de gingembre, les douches au romarin, les probiotiques, les multivitamines, le mélange “clarté de la voix”, aujourd’hui donc nous sommes allées chez l’acupuncteur de l’autre côté de la rue et nous voilà face à nos carences en yin.  Nos trois pouls partaient un peu dans tous les sens, on essaye de ramener toute ça, tsé, fait qu’il faut manger des carottes, du canard, de l’aubergine et de l’ananas.  Des patates douces, du cresson.  Des affaires yin, là.  Catherine et moi sommes colocs ici, et on fait beaucoup de listes.  Ça nous rassure, on dirait.

Il est quatre heures du matin, donc, et on se sent comme s’il était vaguement minuit et demi, parce que coudonc, on commence à basculer dans le bon fuseau horaire:  on vit à l’envers.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, on a fait notre premier filage en temps réel.  C’était surréaliste.  On a commencé à 20h15, et je pense qu’on a fini vers 8h40 le matin.  Une folie.  Jouer le soir à 20h00, dans le jour complet, dans la chaleur suffocante, ça va encore, ça se peut.  Partir ensuite, pas démaquillées, marcher jusqu’à la maison pour manger, puis essayer de dormir un peu, de minuit à une heure et demie, ça devient compliqué.  Faire une sieste en pleine nuit, c’est bizarre, et c’est surtout stressant.  Après, repartir, marcher vingt minutes dans la ville, arriver et vite vite se maquiller, poser les micros, faire sa mise en vitesse, se réchauffer comme-ci comme-ci comme-ça, ça commence à ne ressembler à rien qu’on connaît:  et alors, partir le show à 4 heures du matin, c’est-à-dire maintenant, à cette heure-ci précisément, c’est complètement irréel.  Mais complètement.  Et on tient assez bien, c’est ça qui est fou aussi, on se dit ça va, ça va encore, jusqu’ici ça se peut.  Le jour se lève doucement et nous vole la vedette pendant quelques instants:  la lumière qui change, les oiseaux qui reviennent, le ciel qui s’éclaircit, et le Palais qui se réveille tranquillement, c’est impossible de lutter, on devient accessoires dans le décor.  Il fait clair, de plus en plus, et il y a l’entracte.  Et c’est là, vers 6 heures du matin, qu’on se dit:  oké, à partir de maintenant, je ne peux plus jurer de rien.  Les répliques, que j’ai dites au-delà de deux cents fois, je les connais comme si je les avais écrites, mais je pourrais les échapper.  Et on se demande si on pourrait s’endormir sur scène, assise sur une chaise.  Ou s’évanouir?  S’évanouir.  Peut-être.  On ne sait plus trop.  Et on joue, on continue de projeter, on se regarde dans les yeux, les veines éclatées, nos camarades tiennent bon alors on tient bon, et “fatigue” devient un mot dérisoire pour parler de ce qui nous fracasse.  En fait on est ailleurs, avec aucune idée de quand ça finira, ni de comment revenir.  À date, jouer toute la nuit, c’est hallucinogène.  Je sais pas comment on a fait.  Ni comment on fera.  J’ai bien hâte de voir le visage de ceux qui, le matin, quand j’entre pour jouer Hélène à 7h00, puis Sarah, encore plus tard, seront là.  J’ai hâte à ces visages, je les verrai très bien, parfaitement même, et ils seront sûrement rares.  Ils seront précieux.  Nous les regarderons dans les yeux.  Nous les saluerons pieds nus.  Dans la lumière du jour.

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