vendredi 20 novembre 2009

L'Allemagne c'est un salon tout chaud et qui sent bon

Quand je suis partie de Lyon lundi, j’avais deux bouteilles d’eau, un petit thermos de thé à la menthe, deux clémentines et de la mangue séchée. J’ai bu une des bouteilles d’eau à la gare en attendant le train, j’avais du temps, j’avais plein de temps, pour aller m’acheter un sandwich ou je sais pas, des biscuits, quelque chose, pour mon long voyage en train qui allait durer cinq heures. Je ne l’ai pas fait, parce que je me suis dit, bon allez, je vais manger au wagon-restaurant, les salades sont pas trop mal et puis je suis si chargée. Je babillais avec mes amis et puis je suis partie.

J’ai pris mon train. J’étais fatiguée, j’étais épuisée, j’ai mal dormi cette fin de semaine, j’avais la tête pleine de soupirs, alors j’ai somnolé un peu sur le siège d’à-côté jusqu’à la gare suivante où une équipe de quelque chose est embarquée dans mon wagon pour ne plus me lâcher. Ils étaient jeunes, ils n’étaient pas vraiment beaux, ils sentaient drôles, ils jouaient aux cartes, ils étaient là pour rester. Je n’ai plus dormi. Pas grave. Je vais aller au wagon-restaurant, que je me dis. J’ai faim et puis j’ai pas tellement l’esprit d’équipe aujourd’hui.

Je pars donc dans le train.

Je marche.

Je marche.

Une voiture. Cinq voitures. Huit voitures. Douze, je sais plus. C’est long.

Et puis c’est le bout du train.

Les rails qui fuient dans le soleil blanc de novembre, pareil comme dans les films, on dirait que je viens de rencontrer mon générique. Sauf que.

C’est pas la fin du film, il me reste encore quatre heures et demie dans ce train, où est donc le wagon-restaurant?

Je repars dans le sens inverse, et je pense à mes deux pauvres clémentines, je me dis non, non, non, c’est pas possible, il doit y avoir un chariot, avec du café et des barres de céréales, une machine à liqueur, quelque chose.

Je trouve le contrôleur. Je lui demande en tentant de camoufler mon affolement: s’il-vous-plaît, où est le wagon-restaurant?

Ah ben il y en a pas. J’ai pas écouté son annonce?, nooon, non j’ai pas écouté je dormais je pense bien, ah ben voilà, elle a pas écouté, ben non, ben y en a pas. Et il se trouve un peu drôle. Je dis: on fait un voyage de cinq heures dans ce train, l’eau dans les toilettes est non-potable, et il n’y a pas de wagon-restaurant? Vous avez une petite charrette, quelque chose. Ah ben non, une charrette, ha ha ha, vous venez pas d’ici, non je viens pas d’ici, je veux dire, un chariot, un petit kiosque, aaahh elle est pas d’ici (prenant les autres voyageurs à parti), elle est pas d’ici, elle écoute pas mes annonces, elle veut un kiosque, ben il y a rien, voilà, vous êtes en France! C’est bon pour la ligne, mademoiselle, vous devriez me remercier, qu’il me dit, pendant que je m’enfuis vers mon wagon, mon équipe d’adolescents, mon I-Pod et mes deux clémentines.

J’ai pleuré dans le train, en écoutant la bien-nommée liste de lecture “Pleurer dans les trains”, j’ai pleuré un bon coup, et ce n’était pas seulement à cause de l’absence de wagon-restaurant, mais quand même. C’était aussi à cause de ça. C’était à cause de tous les absents, qui ce jour-là avaient plus tort que jamais. C’était à cause de tout ce sur quoi on pense qu’on peut compter, mais qui disparaît ou qui nous blesse ou qui est non-potable. C’était à cause de tout ce qui fuit. C’était à cause de ma peine, et d’une sorte de déception qui n’avait pas commencé dans ce train, qui avait commencé il y a si longtemps que je ne me rappelle même plus ce qui un jour m’a tant déçue, mais qui a culminé là, qui s’est épanoui en grand sur la banquette à quatre d’un train Corail qui a roulé interminablement vers le Nord. J’ai bu mon thé, j’ai écouté des chansons d’amour, j’ai mangé les pauvres clémentines, et j’ai fini par arrêter de pleurer.

Je suis enfin arrivée, et je ne sais pas: plus rien n'était grave, j’ai sauté dans un autre train à Strasbourg, ma copine est venue me chercher à la gare de Stuttgart, et plus rien n’avait de poids - la cuisine de Julianna avait la même odeur que la première fois que je suis arrivée chez elle il y a déjà deux ans, chez elle ça sent la sauge, le riz au jasmin, les écorces d’orange et le thé chaud, et je suis inatteignable. Elle m’a fait un petit lit dans le salon, j’ai arrêté d’avoir froid, j’ai dormi des heures et des heures, comme si j’étais cachée chez mes parents, dans une maison où personne ne peut venir me chercher.

L’Allemagne c’est le salon de Julianna. C’est un des pays les plus doux que je connaisse. Et on ne sort pas souvent, mais quand il faut, dehors il y a du lierre et de la lumière toute horizontale, c’est plein d’effluves végétaux et de feux de bois, ça sent la terre, la feuille qui meurt, l’automne qui veut vivre. Même pas froid. Même plus triste. Et je me repose, moi qui ne savais pas que j’étais si fatiguée.

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